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De la menace terroriste à la paranoïa
Zehira
Houfani
Écrivaine
et journaliste, membre du Projet Solidarité Irak
Édition du lundi 12 janvier
2004
Qui l'eût cru? En
2004, la plus grande puissance du monde se doit de se barricader, de
boucler ses frontières, d'interdire le survol de son ciel, de s'armer
jusqu'aux dents et même de soûler les gens en ouvrant à fond les robinets
de la peur, de la méfiance et de la suspicion, le tout, pour simplement
jouir d'une festivité aussi universelle que la célébration du nouvel an,
quand bien même grégorien. Qui l'eût cru? Et à qui la faute?
Si la première question ne pose aucun problème et tout un
chacun peut se la poser, la seconde en revanche, soulève des tempêtes de
toutes sortes d'un bout à autre de la planète. Ici, malgré l'effort
gigantesque des gens de bonne foi qui cultivent le rapprochement des
peuples et l'élan de solidarité spontané des populations en faveur de la
paix, on succombe facilement aux montages médiatiques plus vrais que
nature de l'oncle Sam, les États-Unis d'Amérique.
La proximité de
la culture (même si le Québec se distingue par une résistance permanente)
et la convergence des intérêts politiques et économiques font en sorte que
les gouvernements québécois et canadien choisissent de se placer du côté
de la force au détriment des droits de la personne. C'est dans cette
optique qu'ils cautionnent la politique internationale des États-Unis,
notamment en fournissant des soldats chargés de traquer et de liquider
toute rébellion ou résistance afghane afin de «normaliser» la vie dans
cette nouvelle colonie des États-Unis.
C'est exactement ce que
font les forces d'occupation en Irak : réduire au silence la
résistance du peuple et se moquer du monde en exhibant l'image de quelques
Irakiens choisis pour avoir appris la chanson du bienfait de la
colonisation de leur pays, de manière à occulter le désastre humain et
matériel infligé par les États-Unis à l'Irak.
Le parrain américain
Dans son message du nouvel an, le pape Jean-Paul II a lancé
son traditionnel appel à la paix dans le monde et au partage équitable
des ressources de la planète pour mettre fin à la violence. En tant que
chef de l'Église chrétienne, il sait très bien ce qui se passe dans les
coulisses de notre planète. Son message est très clair et les destinataires
aisément identifiables. Qui pourrait croire qu'il s'adresse aux Irakiens,
aux Palestiniens et encore moins aux Afghans en lutte contre l'occupation
étrangère de leur pays ?
Son appel est destiné aux puissants de ce monde, les
États-Unis, véritables parrains de la violence à l'échelle planétaire. Car
en ouvrant un nouveau front de la violence dans un Moyen-Orient où les
droits humains sont déjà si malmenés, l'administration américaine a commis
un crime avec de graves conséquences, notamment pour les Occidentaux,
contraints de vivre suspendus au fil d'une menace permanente d'actes
terroristes. C'est ainsi que les Américains, sous la gouverne d'une peur
savamment alimentée par les médias, et surtout de la paranoïa d'un
gouvernement conscient d'avoir semé tant de souffrances, détruit, massacré
et poussé au désespoir des pans entiers de l'humanité, ont dû s'isoler du
reste du monde pour fêter le nouvel an 2004. Triste réalité d'une humanité
censée avoir évoluée et tourné le dos aux époques sombres de son histoire,
l'esclavage, l'extermination, la colonisation, etc.
Le désir de paix
Force est de constater pourtant que lorsqu'on est capable de
semer le chaos où que l'on veuille, on est forcément capable de bâtir la
paix si on en a le désir. Cela, Jean-Paul II le sait, le gouvernement
américain aussi, je le sais, vous le savez et les résistants irakiens et
tous les mouvements sociaux ou de libération qui se battent pour leurs
droits dans le monde, le savent aussi.
L'invasion d'un pays reste
une agression en toute circonstance et la dernière dans le palmarès des
États-Unis interpelle la conscience universelle. Cela a pris du temps
avant que la vérité ne reprenne ses droits, mais maintenant que les
mensonges sont dissipés, que tout un chacun a compris les visées de
l'administration américaine dans sa guerre en Irak, pourquoi continuer de
prêter cette oreille assidue à la Maison-Blanche et lui accorder le
bénéfice du doute quand elle se défend de coloniser l'Irak et parle de
construire une démocratie ? Merci Jean-René Dufort et votre émission
de fin d'année pour m'épargner de citer la longue liste de pays où les
États-Unis ont chanté le même refrain avant de les précipiter dans le
gouffre et de leur tourner le dos comme de la marchandise avariée.
Forteresse
Pourquoi cette volonté affichée de soutenir un
gouvernement raciste et méprisant comme celui du président Bush ?
N'est-ce pas raciste, indécent et hystérique que de vouloir humilier son
prochain comme on l'a fait avec Saddam Hussein, quels que soient ses
torts ? C'est clair qu'à travers lui, on a délibérément ciblé les
centaines de millions de musulmans et arabes rivés à l'écran de leur
téléviseur. Cela n'a rien d'une opération de justice prétendument pour le
compte des Irakiens, mais plutôt d'une vengeance primaire qui satisfait
l'obsession du clan Bush.
Y a-t-il la moindre grandeur dans
l'attitude de la super-puissance, sinon l'agressivité à l'état brut et la
volonté de soumettre les peuples récalcitrants, dans ce cas musulmans et
arabes, à une domination conjointe américano-israélienne.
À force
de manipulation et de désinformation, le président américain s'est offert
le cadeau de Noël idéal, le président irakien déchu qu'il exhiba devant le
monde. Un Saddam Hussein dépouillé de tout dignité, docile, soumis,
conciliant et d'une lâcheté effarante. C'est incroyable comment
l'administration américaine se confond avec Hollywood quand il s'agit
d'abuser l'opinion internationale. Et c'est aussi incroyable, et surtout
révoltant de voir comment le monde libre s'accommode de ce plat de
couleuvres qu'on lui sert à satiété. À coup sûr, voilà de quoi réhabiliter
l'image de Bush mise à mal par le nombre de plus en plus grand de soldats
américains qui tombent au nom de l'occupation de l'Irak.
D'ores et
déjà, la machine de propagande états-unienne est en route pour trouver
d'autres marchepieds en faveur de la réélection de George Bush et ses
compères, quitte à emprisonner la planète dans un cercle de violence sans
fin et à contraindre les populations nord-américaines à vivre la peur au
ventre où qu'elles soient. Et nous contribuons tous, de gré ou de force, à
cette forteresse. Mais quel goût a donc une «liberté» encadrée par la peur
du terrorisme et la paranoïa ? En vaut-elle la peine quand on sait la
détresse du reste du monde ?

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