IRAK
L’amère vérité de Kofi Annan
Kofi Annan sort de son mutisme devant
les massacres quotidiens que subissent les populations irakiennes. Il vient de
déclarer que l’occupation de l’Irak était tout à fait illégale.
Au même moment,
les inspecteurs américains, enquêtant sur les armes de destruction massive, ont
tout simplement conclu que Saddam Hussein ne disposait pas de programme d’armes
de destruction massive. Le New York Times révèle que les services de
renseignements sont arrivés à la conclusion qu’une guerre civile est fortement
possible. Décidément, trop d’informations mettant en doute la légalité et la
légitimité d’une guerre originellement fondée sur la possession par Saddam
Hussein d’armes de destruction massive.
Le secrétaire général de l’ONU, lui-même,
exclut l’éventualité d’une couverture légale d’une désastreuse occupation qui a
eu pour conséquences directes la radicalisation des populations arabes, la
légitimation paradoxale du terrorisme, la péjoration des pouvoirs arabes trop
silencieux et trop complices et la destruction de la société irakienne
condamnée, au cas où les choses ne changeraient pas, à une guerre civile
certaine.
Même l’adversaire de George Bush pour
l’élection présidentielle de novembre prochain, John Kerry, sort ses grands
sabots pour reprocher à l’administration Bush ses «nombreux mensonges» et la
gestion catastrophique du dossier irakien, surtout que le patron de la
Maison-Blanche a même avoué qu’il n’avait pas bien calculé l’après-Saddam. Il faut ajouter à cela le fait que les forces
américaines reconnaissent officiellement avoir perdu plus de 1.000 soldats et enregistré des milliers de blessés qui
n’oublieront pas de sitôt le bourbier irakien. On ne sait pas, pour le moment,
si toutes ces informations relatives à l’Irak pèseront lourd sur la balance des
élections aux Etats-Unis, en Australie et en Grande-Bretagne.
Les anciens pays de l’Est ne pourraient pas
réagir parce qu’ils fonctionnent comme des Etats satellites de Washington.
Mais, paradoxalement, le président polonais, lui aussi, ne cache pas son
amertume et déclare qu’il avait recommandé au président américain de ne pas
intervenir militairement. Quelques jours après cette singulière annonce, la
Maison-Blanche prend attache avec les Polonais tentant de les convaincre de ne
pas trop rendre publiques certaines choses et accordent à la Pologne un contrat
d’armement de quarante millions de dollars sous couvert du «gouvernement»
intérimaire irakien. Les choses sont trop délicates, d’autant plus que
l’administration Bush se trouve entre lame et lamelle. L’élection
présidentielle approche, tous les coups sont permis. D’ailleurs John Kerry
qui était favorable à l’occupation, fait une extraordinaire volte-face en
s’appropriant la question irakienne devenant un des espaces centraux de sa
campagne présidentielle, à côté des dossiers économiques et sociaux.
Il n’eut pas fallu longtemps pour que les pays
dont les armées sont en Irak réagissent fortement, reprochant au secrétaire
général de l’ONU sa déclaration. Ainsi, des pays comme l’Australie, les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne fabriquent une autre raison qui les aurait
poussés à s’attaquer à Saddam Hussein, c’est la menace qu’aurait constituée
l’ancien président irakien. Même le Portugal dont personne ne comprend sa présence
dans un pays avec lequel il n’a rien à voir répond à Annan,
comme s’il semblait vraiment gêné par cette situation. On n’évoque plus le
prétexte officiel du départ (détention par l’Irak d’armes de destruction
massive) qui a mobilisé des équipes de l’ONU et de l’AIEA (Agence
internationale de l’énergie atomique). Hans Blix, le
chef des inspecteurs de l’ONU, comme Mohamed El Baradéi
de l’AIEA reconnaissent n’avoir rien trouvé, provoquant ainsi l’ire de
Washington et de Londres. L’Américain David Kay qui
déclarait à qui voulait l’entendre que les armes étaient cachées dans des lieux
secrets, qualifiant le Suédois Hans Blix de «naïf»,
finit tout de même par reconnaître que les Irakiens ne possédaient pas ces
armes de destruction massive. Un autre coup de massue aux va-t-en-guerre, c’est
la déclaration du chef des inspecteurs américains, avant-hier, de l’absence de
programme de fabrication de ces armes. C’est du moins la conclusion d’un
rapport fait sur cette question.
Ainsi, toutes ces informations tombant à pic
peuvent peut-être influer sur les élections dans les pays en guerre en Irak. Le
Premier ministre australien qui voue une haine extraordinaire aux Palestiniens
tente de justifier sa position en s’arrimant au discours de l’équipe de George
Bush. Sa position est délicate, d’autant plus que deux de ses ressortissants
seraient aux mains de preneurs d’otages. Ce qui ne manquerait pas de faire
réagir les opposants à l’envoi des troupes. Déjà, l’opposition a annoncé qu’au
cas très probable où elle remporterait les élections, elle récupérerait ses
soldats. Le Premier ministre espagnol n’a pas dissimulé son espoir de voir les
autres forces stationnées en Irak se retirer pour permettre l’amorce d’une
stabilité, désormais très peu probable sans un dialogue global incluant les
véritables forces influentes dans la société, à commencer par le Baas et la fin de l’occupation. Les Américains
n’accepteront pas, vraisemblablement, cette option qui serait assimilée à un
cinglant désaveu.
La situation est tellement intenable que le
président du «gouvernement» provisoire irakien semble exclure la tenue
d’élections en janvier 2005, contredisant ainsi les déclarations optimistes de
«son» Premier ministre et du secrétaire d’Etat américain, Colin Powell. Dans ce
contexte difficile où de plus en plus les pays en guerre en Irak sentent qu’ils
sont sérieusement en minorité et qu’ils ne bénéficient ni d’un espace légal, ni
d’une présence légitime, la situation sécuritaire reste impossible à maîtriser,
d’autant plus que la résistance nationale disposerait du soutien d’une grande
majorité de la population irakienne. Sinon, comment expliquer cette
multiplication des attaques et des enlèvements en plein jour ? D’ailleurs, les
chiffres considérables de tués côté irakien, annoncés par les sources
militaires américaines, confirment cette réalité. La légende de combattants
étrangers qui seraient derrière la résistance ne soutient pas l’analyse
d’autant plus que les morts annoncés sont Irakiens, sauf si les étrangers sont
immortels. Interrogé par un journaliste, un Marine américain répond tout de go
que s’il était irakien, il ne pourrait que prendre les armes contre
l’occupation.
Ces derniers jours, la situation devient de
plus en plus insoutenable. A Falloudja, on a annoncé
la mort, hier, d’une soixantaine d’Irakiens sans compter une dizaine de
policiers. Deux Américains et un Britannique qui travailleraient dans le
secteur de la sécurité ont été enlevés rendant les choses encore plus
difficiles pour Bush. Le gouvernement turc vient de réagir officiellement
contre les frappes américaines visant les Turkmènes. L’Allemagne a appelé ses
ressortissants à quitter dans les plus brefs délais l’Irak qui n’a jamais
connu, depuis des siècles, une situation aussi tragique. Les régimes arabes ne
réagissent pas, par peur de représailles. Que reste-t-il de l’Irak ?
Ahmed Cheniki
Source : http://www.quotidien-oran.com/html/home.html