par Alexandra S. Holstein, le 31 mars 2003 Livresplus - Montréal
LETTRE D’UNE MUSULMANE AUX NORD-AMÉRICAINES
Au XVIIIe siècle, Benjamin Franklin, un Nord-Américain, disait déjà : «Il n’y a jamais eu de bonne guerre ni de mauvaise paix.»Depuis plusieurs semaines, des millions de personnes ont défilé dans le monde pour dire non à la guerre et tenter de faire entendre raison à leurs gouvernements. Elles ont marché pour leur rappeler haut et fort que la guerre ne doit jamais être un choix à privilégier tant et aussi longtemps que toutes les autres solutions pacifiques n’ont pas été épuisées. Ces marches expriment également un “non” massif à un concept terrifiant — car redoutable boîte de pandore — celui de la guerre préventive. Ce concept pervers est une insulte fatale au droit international. Comment et de quel droit, pourrons-nous dans le futur nous opposer à ce que d’autres pays, décident d’appliquer à leur tour un tel principe. Pourrons-nous simplement leur dire pour les stopper : Fais ce que je te dis mais surtout ne fais pas ce que je fais ?
En ces temps troublés où le bellicisme exacerbé de certains dirigeants occidentaux pour le moins dangereux boutefeux peut précipiter notre planète dans une véritable spirale infernale, j’ai lu Lettre d’une musulmane aux Nord-Américaines, un ouvrage d’actualité, récemment publié par les éditions Écosociété. Zehira Houfani-Berfas, son auteur, est une journaliste canadienne d’origine algérienne qui est aussi écrivain et consultante en communications. On ne ressort jamais indemne de la lecture d’un tel livre.
On ne peut que se sentir ébranlé par ce témoignage lucide et courageux même si on ne partage pas nécessairement tous les points de vue de l’auteur, ne serait-ce justement que parce que nos origines et notre vécu sont différents, et que nous semblons être du mauvais côté de l’Occident. Mais qu’on le veuille ou non, nos certitudes prennent un sérieux coup dans l’aile. Et je n’ai pas fait exception…
Zehira Houfani-Berfas a décidé d’écrire ce livre dans ce qu’elle appelle « la tourmente qui a suivi les événements tragiques du 11 septembre 2001». Dans les instants qui ont suivi les attentats, le regard jadis amical de ses collègues de bureau s’est brusquement fait soupçonneux et fuyant. Elle s’est alors sentie peinée, frustrée presque agacée. D’où cet ouvrage pour lutter contre l’ignorance, véritable obstacle dressé entre les peuples. Une ignorance qui selon elle, est soigneusement maintenue par « les cercles décideurs de la planète ».
Cette Lettre d’une musulmane aux Nord-Américaines est le cri du cœur d’une femme du Sud accueillie par le Nord. Il en résulte un malaise doublé d’un sentiment de culpabilité, si ce n’est parfois même de honte face aux agissements néo-colonialistes de certaines grandes puissances. Car les questions que pose ici Zehira Houfani-Berfas, exemples à l’appui, nous devrions sans doute, nous aussi, nous les poser pour ne pas perdre notre objectivité et pour résister à la pression propagandiste qui semble nous envelopper chaque jour davantage. En tout cas, nous ne manquerions certainement pas de nous les poser si nous avions subi dans le passé, les mêmes souffrances physiques et psychologiques qu’elle. En effet, trop souvent pour nous, les désastres humains qui ensanglantent notre planète se résument à quelques images fugaces sur notre écran de télévision ou à quelques photos chocs publiées par un magazine. Pour l’auteur et ses compagnons de souffrance, ces images ne sont pas anonymes et n’ont rien d’aseptisé : elles sont le miroir de leur quotidien, celui des populations pauvres des pays dits du Sud, malheureusement trop fréquemment exploitées par ceux du Nord ou leurs vassaux.
Quand elle évoque la politique internationale de l’administration Bush, Zehira Houfani-Berfas interpelle directement le président américain. Son livre devient alors une lettre ouverte directe et courageuse. Cette interpellation ferme, sans haine ni complaisance et que l’on sent profondément sincère suscite encore une fois, de très nombreuses questions. Ces questions sur des quasi-évidences nous plongent dans une réflexion empreinte de perplexité.
Zehira Houfani-Berfas braque ensuite ses projecteurs sur les dangers d’une lutte antiterroriste qui prendrait des allures de chasse aux sorcières donnant libre cours au délit de faciès ou de dissidence et qui à elle seule, justifierait tout et n’importe quoi. Elle souligne également la politique du deux poids deux mesures pratiquée depuis longtemps en matière d’irrespect des résolutions onusiennes. Tout comme, elle n’hésite pas non plus à définir la mondialisation comme « un nouveau concept de domination », une sorte de « colonisation new look ».
Elle aborde bien évidemment le rôle — ambiguë si ce n’est complice selon elle — des médias occidentaux dans ce qu’elle n’hésite pas à appeler des opérations de propagande pure. Zehira Houfani-Berfas n’est pas tendre avec ceux qu’elle nomme les « soldats de la plume » et qui à l’évidence sont bien loin de l’image qu’elle s’était faite jusqu’ici d’eux et qu’elle enviait lorsqu’elle était encore en Algérie, à savoir des journalistes « libres et indépendants ».
Zehira Houfani-Berfas s’étonne en fait du peu de curiosité des médias occidentaux face aux affirmations toutes faites qui leur sont servies comme sur un plateau en conférence de presse, par les autorités gouvernementales. Le danger est selon elle dans cette absence de remise en question. Elle cite fort à propos, Albert Einstein qui affirmait : «Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.» ou encore, George Orwell qui soutenait que : «En des temps d’imposture mondiale, dire la vérité est un acte révolutionnaire.»
À titre d’exemple de ce qui n’est ni plus ni moins pour elle qu’un « conditionnement médiatique », Zehira Houfani-Berfas nous rappelle l’épisode des faux charniers de Timisoara destinés à précipiter l’exécution du couple Ceausescu, mais aussi celui des – désormais célèbres – couveuses koweïtiennes mis en scène afin de faciliter l’acceptation de la première guerre contre l’Irak dans l’opinion publique. Même Amnistie International s’était alors laissé abusée par l’adroit scénario. Ces manipulations mensongères étaient destinées à conditionner l’opinion internationale dans le sens souhaité par les grandes puissances et à dissimuler les véritables enjeux du conflit projeté.
Lettre d’une musulmane aux Nord-Américaines n’est pas le livre idéal si on est un adepte convaincu de la politique de l’autruche. C’est un témoignage lucide et courageux qui n’a pas dû être facile à écrire pour une Nord-Américaine arabe et musulmane. Il ne reste désormais qu’à souhaiter qu’il ne s’agisse pas d’un cri d’alarme inutile.
© Alexandra S. Holstein LivresPlus Montréal, 2003 Cet article a été rédigé avant le déclenchement de la guerre en Irak mais il n’a rien perdu de sa pertinence. En effet, et même si depuis près de deux semaines, dans le fracas des bombardements, les faucons ont pris le pas sur les colombes, la Lettre d’une Musulmane aux Nord-Américaines demeure plus que jamais d’une douloureuse actualité, car Fénelon avait bien raison de l’affirmer : «La guerre est un mal qui déshonore le genre humain.» (Alexandra S. Holstein, le 31 mars 2003)
Lettre d’une musulmane aux Nord-Américaines
Zehira Houfani-Berfas
Essai - 150 pages — 2002
Les éditions Écosociété
Date : 2002-12-19
Par : Judith Bessette
Service des Communications- choq.fm La Radio de l'UQAM
Un cri perçant et pesé, prononcé sur un ordre d'injustice mondial... Zehira Houfani-Berfas nous livre ici une vision du monde empreinte de douleur et d'humanisme.
Lettre d'une musulmane aux Nord-Américaines est un essai sur la réalité du monde musulman, et du tiers-monde en général, face à l'hégémonie de quelques pays riches et de leurs institutions idéologiques. Le livre est empreint d'émotions autant que de faits, et peut être lu comme le témoignage d'une femme touchée par les injustices fracassantes de la planète.
Ce livre est un bon outil de sensibilisation pour vos amis que vous sentez inconscients des structures d'injustice mondiale... Il étale certains faits historiques et médiatiques connus pour certains, mais inconnus semblent-ils pour d'autres, et les porte à effet en incorporant un plaidoyer humaniste.
Collusion des pouvoirs du sud et des multinationales, trucage de l'information, impérialisme américain, «dommages collatéraux», etc. : les thèmes de la domination mondiale par une minorité sont soulevés clairement et simplement pour rejoindre un vaste éventail de lecteurs. À travers la figure de l'écrivain, nous sommes confrontés à un être humain vastement différent de nous, qui de par son sexe, sa nationalité, sa religion et son éducation, nous présente une critique de notre monde qui défait toutes nos prétentions.
Un livre qui peut pousser vers l'ouverture, le doute, la colère, et la revalorisation des valeurs universelles... À faire circuler autour de vous!
Lettre d'une musulmane aux Nord-Américaines
Zehira Houfani-Berfas, Éditions écosociété, Montréal 2002, 148 pages
Source : http://web.choq.fm/article.php?id=152
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